Pour élaborer des whiskies français identitaires, j’ai développé un procédé
d’élevage et de finitions singuliers. Afin de créer des whiskies français
qui ne soient pas une pâle copie des scotch whisky, j’ai choisi de
dépoussiérer les processus traditionnels écossais et de développer un mode
d’élevage qui s’inspire des techniques d’élaboration de nos meilleurs
spiritueux français et bien évidemment de nos plus grands crus de vins…
L’héritage de l’histoire
À partir du XIIe siècle, la distillation de l’eau-de-vie se répand progressivement en Europe,
notamment en Ecosse et en Irlande, où l’alambic aurait fait son apparition grâce à des missionnaires
chrétiens qui auraient découvert les secrets de fabrication du parfum en Orient.
Jusqu’au XVIe siècle, le whisky est incolore car non vieilli et est vendu ainsi comme une eau de
vie blanche. Au cours du XVIe siècle, ce sont les britanniques qui en important du Xérès (vin le
plus réputé en Europe) en barriques, ré-utilisent ces mêmes barriques pour exporter leur whisky
blended ou Single Mat en retour. Ils s’aperçoivent que ce mode de transport réduit l’oxydation,
développe le bouquet des whiskies et leur donne une couleur différente selon le type de barrique
utilisée. C’est ainsi que se développe le vieillissement (maturation) en fûts de chêne usagé.
Aujourd’hui encore les whiskies écossais et irlandais sont toujours élaborés dans des fûts d’occasion.
Les marchés commerciaux ont changé et ce sont les Etats-Unis qui sont les premiers
pourvoyeurs en fûts d’élevage pour les whiskies blended et Single Malt écossais et irlandais.
En effet, la réglementation américaine impose dans le processus de fabrication du bourbon,
l’utilisation de 100% de chêne neuf américain. On reconnait bien là toute la
mesure américaine. Une fois ces barriques utilisées pendant 7 à 10 ans, elles sont revendues
sur le marché de l’occasion. Tous les ans, plusieurs millions de barriques sont
mises sur le marché et sont acquises par les producteurs de rhum et surtout de whisky.
En Ecosse, les ex-fûts de bourbon représentent la majeure partie des fûts utilisés pour
le vieillissement. Les fûts de porto, de pedro ximenez et d’olorosso sont toujours
utilisés dans le cadre de “finish haut de gamme” et, dans de rares occasions,
certains fûts de vins peuvent aussi être utilisés pour la maturation du whisky.
Ce qui est à noter, c’est qu’il n’est jamais fait usage de fût neuf, ni en chêne américain et
encore moins en chêne français. Pourquoi ? Un certain pragmatisme économique. Un fût de bourbon
usagé coûte 50€, un fût de chêne américain 350€ et enfin un fût de chêne français 750€ (prix moyen HT).
La conséquence de ce mode de vieillissement est que les whiskies écossais ou irlandais sont
élevés sans tanin et avec peu de contact avec l’oxygène. En effet, une barrique usagée
n’apporte pas ou très peu de tanins et engendre une très faible micro-oxygénation.
Dans ces conditions, le whisky évolue très lentement et peu. Cela a pour impact de donner des
whiskies qui après 10 ou 15 ans de vieillissement restent souvent bruts, marqués par des notes céréalières
et très légèrement vanillés. C’est le style des Scotch et des Irish whisky et c’est cela
qui en a fait leur succès.
Pasteur disait : “L’oxygène fait le vin”. Il avait raison et il faudra attendre les années 1980
et les travaux du Docteur Glories de la faculté de Bordeaux pour que soit démontré le rôle de
l’oxygène. Celui-ci favorise les liaisons entre les différentes molécules de tanins. C’est la
polymérisation. Plus les tanins sont polymérisés, plus ils forment des chaînes longues et plus ils
confèrent une sensation de douceur, de volupté et de volume.
Et c’est ce qui se passe aussi dans le whisky, si on fait le choix de l’élever (le faire vieillir
ou maturation) avec du chêne français neuf qui comporte de bons tanins et donc, favorise la
micro-oxygénation. Il est aussi bon de savoir qu’une barrique de chêne français contient 10 fois
plus de tanins qu’une barrique de chêne américain. En effet, l’essence des bois est différente.
C’est donc grâce à un travail précis sur la gestion de parc à barriques et sur l’apport d’oxygène
dans le whisky en cours de vieillissement que j’arrive à façonner mes whiskies et à leur apporter
cette suavité, cette douceur et ce volume. L’objectif n’est pas de faire mieux mais de faire différemment!
Je souhaite que le whisky français A. Roborel de Climens se crée une identité propre
; l’identité de son terroir. Qu’il soit le reflet de nos savoir-faire pour le rendre différent et
unique.
La finition ou le finish est le processus qui consiste à utiliser un fût spécifique pour les derniers
mois d’élevage. Cette dernière étape est là pour apporter une complexité gustative et aromatique
et donner une signature singulière à chaque cuvée.
Faire des finitions à la française, c’est partir du principe que si l’on veut créer une identité
française du whisky, il est primordial de s’approprier un mode d’élevage spécifique et des finitions
qui nous soient propres.
La France produit de nombreux grands vins, caractéristiques de leur région, représentatifs d’un
terroir et dont les barriques usagées ont été imprégnées. Utiliser spécifiquement ces barriques,
c’est respecter une cohérence dans le processus de fabrication, c’est respecter une identité :
whisky de France.
En effet, nous produisons en France de nombreux vins et dans de nombreuses régions : rouge ou blanc,
sec, liquoreux ou encore muté… Saint Emilion, Graves, Sauternes, Banyuls, Rivesaltes sont autant
de promesses de saveurs que le whisky va puiser dans ces vieux fûts. Le fût devient l’exhausteur
de goûts. Quelle richesse! Quelle variété ! Autant d’opportunités pour produire des whiskies différents
et aux saveurs uniques pour le plaisir de la dégustation.
Le whisky fonctionne comme un révélateur. Au contact de la barrique, il va s’imprégner des saveurs
du vin que celle-ci a contenu auparavant. Elle rehaussera alors le whisky de saveurs vigneronnes.
La recette pour qu’une finition soit qualitative réside dans la fraîcheur des fûts. En effet, un
fût fraîchement soutiré est un fût encore humide dont les douelles sont imbibées de vin. C’est ce
fût frais qu’il faut transporter rapidement au chai pour qu’il soit rempli à nouveau de whisky.
Ensuite, laisser faire le temps… Le whisky va s’imprégner, il va absorber les saveurs de vin et
ainsi se saisir des arômes de terroirs.
C’est ainsi, au gré d’une pérégrination dans les vignobles, d’une sélection méticuleuse des fûts et
de finitions spécifiques que je décline des cuvées identitaires, reflets de nos terroirs : des whiskies
aux accents vignerons.